Martin,J.-P.(1989): "Quand les élèves font la classe...", in: Le Français dans le Monde, 51-55 QUAND LES ÉLÈVES FONT LA CLASSE ...Jean-Pol Martin
Les progrès effectués en psychologie, notamment dans la recherche sur la cognition, n'ont pas conduit jusqu'à présent en classe de langue aux améliorations méthodologiques qu'ils autorisent. L'auteur, enseignant-chercheur à l'université d'Eichstätt (RFA), présente la méthode qu'il pratique depuis sept ans et qu'il a conçue comme la synthèse des trois grandes tendances actuelles, c'est-à-dire des méthodes dites traditionnelles, des méthodes behavioristes et des approches communicatives. Le problème qui se pose au professeur de langue est le suivant: comment faire parler les élèves en une langue correcte et différenciée, de sujets pertinents et dans des situations de communication permettant une expression authentique et spontanée ? Ni les méthodes traditionnelles et fondées sur une mémorisation systématique de la grammaire et du vocabulaire, ni les méthodes behavioristes cherchant à créer des réflexes langagiers au moyen d'exercices structuraux, ni enfin les approches communicatives n'ont apporté de réponse globalement satisfaisante à cette question. En effet, les méthodes traditionnelles conduisent à une compétence de type métalinguistique utile pour la production de phrases complexes et grammaticalement correctes, mais elles ne préparent pas à l'expression spontanée et libre. Les méthodes behavioristes, reposant sur la manipulation de structures simples, peuvent aider l'élève à maîtriser les situations de base du quotidien, mais elles ne lui permettent pas de communiquer dans les contextes qui exigent du locuteur différenciation et précision. Enfin, les approches communicatives développées au cours des dernières années ont l'avantage de prendre en compte dès le début de l'apprentissage les besoins langagiers de l'élève en situation de communication authentique, mais comme elles négligent l'étude de la langue en tant que système, la qualité linguistique du discours reste médiocre. Aux problèmes posés par les objectifs spécifiques de l'enseignement des langues vivantes vient s'ajouter une autre question, commune à tous les enseignements: Comment motiver les élèves de façon durable et créer en cours un climat psychosocial propice aux processus d'apprentissage ? Les méthodes pratiquées actuellement présentent, à cet égard aussi, de graves déficits. S'adressant en premier lieu à la mémoire, les techniques traditionnelles imposent une attitude réceptive à l'apprenant et laissent peu de place au développement d'activités individualisées et autonomes; il en est de même des approches behavioristes qui, de plus, utilisent des pratiques répétitives peu propices aux processus intellectuels complexes et à la créativité. Ces méthodes ne tenant pas compte de besoins fondamentaux des élèves, ceux-ci réagissent dans les deux cas par des comportements à la fois passifs et agressifs. Quant aux approches communicatives, qui privilégient la motivation de l'apprenant, elles ont l'inconvénient de faire supporter par le professeur tout le poids de l'effort didactique. En effet, comme il s'agit moins de faire assimiler par les élèves les contenus du manuel que de les inciter à s'exprimer dans un contexte authentique, l'enseignant doit constamment faire preuve d'imagination pour créer, au-delà des situations fournies par le livre, des occasions de parole motivantes. Face aux problèmes décrits et à partir des trois approches méthodologiques évoquées, le professeur, dans la pratique, procède de façon éclectique, dispensant un enseignement de type traditionnel et frontal, mais ménageant, quand il le peut, des phases consacrées à l'expression libre. Le danger de cet usage est que l'élève, peu préparé par le cours traditionnel à parler librement, ne puisse profiter des espaces qui lui sont offerts et hésite à s'exprimer. I1 s'ensuit que le professeur impute cette réserve à la faiblesse, voire à la passivité ou à la mauvaise volonté de l'apprenant et intensifie encore les exercices peu communicatifs de répétition et de mémorisation. DÉLÉGUER LES Pour apporter une solution aux problèmes évoqués, il suffit de demander aux élèves de présenter eux-mêmes les contenus du manuel et d'assumer en langue-cible le déroulement du cours. De cette façon, on atteint les objectifs spécifiques à l'enseignement des langues tout en prenant en compte les besoins fondamentaux des apprenants. Du point de vue spécifique de l'enseignement des langues, on constate qu'il s'instaure dès le début de l'apprentissage une communication authentique en langue-cible (objectif communicatif), que les structures communicatives de base deviennent des habitudes dans le cadre très ritualisé du discours en classe (objectif béhavioriste) et que, comme les élèves concentrent leur attention sur les éléments lexicaux, grammaticaux et textuels véhiculés par le livre, ils développent une compétence métalinguistique stable (objectif traditionnel). Du point de vue plus général de la motivation et du climat psychosocial, on note que la mission de transmettre les contenus du manuel à leurs camarades fournit aux élèves le champ d'activités variées et complexes dont ils ont besoin pour investir de façon durable leur énergie, de sorte que les attitudes passives ou agressives se réduisent sensiblement. On assiste de plus à une modification positive du comportement social des apprenants, car ceux-ci sont amenés, pour transmettre les contenus, à «se mettre à la place» de leurs camarades (phénomène d'empathie) et développent peu à peu des réflexes de solidarité et d'altruisme. Enfin, on voit les rapports entre le professeur et ses élèves changer de nature, passer de la subordination à la coopération, car l'enseignant, soulagé des tâches qui ne nécessitent pas sa compétence et peuvent être déléguées, veille principalement à ce que la transmission du savoir se fasse de façon efficace, s'efforce d'aider les élèves en difficulté par un soutien individualisé et s'applique à relancer par des mesures ponctuelles l'intérêt de la classe lorsque celui-ci menace de se relâcher. En évoquant Freinet, on objectera que l'idée de motiver les élèves par une restructuration des tâches n'est pas neuve. Mais les nombreuses alternatives pédagogiques proposées jusqu'à présent ont toujours conduit à un surcroît de travail considérable pour le professeur en l'obligeant à développer lui-même son matériel. Avec la méthode préconisée ici, les activités d'apprentissage s'articulent exclusivement autour du manuel déjà utilisé en classe, la différence par rapport au cours traditionnel résidant uniquement dans le fait que ce soient les apprenants qui assument les tâches didactiques. La seule exigence nouvelle posée à l'enseignant est qu'il développe progressivement chez l'élève les compétences didactiques et linguistiques indispensables à un tel transfert (1).
En règle générale, si le groupe ne dépasse pas vingt élèves, ceux-ci peuvent prendre la parole à tout moment et sans lever la main, à condition que leur remarque concerne le sujet traité et qu'ils s'expriment en français. Comme il leur manque fréquemment un terme pour réaliser leur intention de parole, ils s'adressent à moi et me demandent:
Je livre aussitôt la réponse pour permettre à l'apprenant de continuer à parler sans s'être trop interrompu. Inversement, si l'élève ne comprend pas une expression française, il se tourne vers moi et demande:
Je livre alors la traduction dans la langue maternelle de l'élève. De cette façon, il est possible de réaliser dès le début de l'apprentissage une grande partie du discours en français. ... ET SAVOIR PRENDRE Evidemment, au début, tout cela vous coûtera plus de temps que les méthodes traditionnelles. Mais ne vous inquiétez pas d'un éventuel retard pris sur le programme au cours des premières semaines! Vous rattraperez aisément par la suite le temps que vous croirez avoir perdu, car cette méthode rend superflue un grand nombre d'exercices de répétition et de mémorisation. En effet, les élèves sont amenés à intérioriser beaucoup plus les expressions et structures qu'ils ut lisent, puisqu'ils s'en servent dans des contextes de communication authentique. Ils mettent donc davantage de temps à les apprendre, mais ensuite ils ne les oublient plus. En ce qui concerne le rythme même du cours, vous aurez l'impression au début que tout se déroule d'une façon extrêmement lente et que cela lasse les participants. Mais il est probable que vous vous trompez. Les activités qui vous semblent simples, donc ennuyeuses, sont compliquées pour eux. Si rien ne se passe, que personne ne parle, cela ne voudra pas dire qu'on s'ennuie, mais qu'on réfléchit ! Donc: soyez patient ! N'intervenez pas trop vite, cela découragerait vos élèves COMMENT PROCÉDER Afin de venir en aide aux collègues désireux de tenter une expérience dans ce sens, il a été rédigé un ensemble de «lettres didactiques» permettant de reprendre la méthode, quel que soit le manuel utilisé ou le niveau d'apprentissage du groupe. La Lettre didactique I, consacrée aux premières semaines, se trouve reproduite ci-dessous. Par ailleurs, lauteur fait parvenir sur demande les lettres II et III ainsi qu'une documentation détaillée sur ses travaux. L'objet de cette lettre est de décrire la façon dont je procède au cours des premières semaines. Je concentrerai donc mes explications sur les techniques de base à introduire dès le début de l'apprentissage et portant principalement sur la maîtrise par les élèves du discours en classe. Dans ma Lettre didactique II, je montre comment effectuer le transfert des compétences nécessaires à la présentation du nouveau vocabulaire, des textes et de la grammaire. FAIRE PRENDRE La structure de l'heure de cours telle que je la conçois au début est absolument traditionnelle: d'abord présentation des nouveaux mots, pois du texte, exposition d'un point de grammaire, puis exercices correspondants. L'originalité de la méthode ne réside donc pas dans le déroulement et le contenu des diverses phases, mais dans la façon dont la communication s'organise en classe, dans l'attention qui est accordée à l'étude du vocabulaire et de la grammaire et dans l'insistance à susciter la production verbale des élèves. Après avoir présenté le nouveau vocabulaire, puis le texte, je demande à un élève de diriger la lecture et, s'il s'agit d'un dialogue, de distribuer lui-même les rôles. Je lui dis: «`René, dirige la lecture du texte, s'il te plaît.» Pour cela, l'élève a besoin des expressions suivantes:
René fait donc lire ses camarades et pendant ce temps les autres écoutent attentivement et corrigent les fautes de prononciation. craindre moins Après la lecture (répétée) du texte en plénière, vous pouvez demander aux apprenants de le relire en tandem, de sorte que chacun d'eux ait lu le texte à haute voix au moins une fois. Le travail en tandem présente des inconvénients que je ne vaux pas minimiser. En effet, il est possible que des fautes soient faites sans que personne puisse les corriger et que celles-ci s'automatisent. Mais je crois que le travail en tandem a l'avantage considérable d'activer tous les élèves en même temps en leur donnant plus largement l'occasion de parler et qu'il faut craindre moins les fautes que le mutisme. De toute façon, il est conseillé d'utiliser le travail en tandem pour les types d'exercices où le danger de faire des fautes ne soit pas trop fréquent, par exemple pour répéter un exercice déjà fait en plénière ou pour entreprendre la traduction de textes simples. En ce qui concerne la langue de communication utilisée en tandem ou en travail de groupe, on peut suggérer aux élèves de s'exprimer en français. Si le professeur obtient un consensus sur ce point, il devra constamment veiller à ce que cette règle soit respectée. La phrase que j'ai prononcée le plus souvent au cours de ma carrière est: «En français, s'il vous plaît!» Faire diriger les exercices par les élèves . structures grammaticales Il faut que celui-ci dispose des expressions suivantes:
Pour pouvoir préciser l'origine des fautes dans la réponse de leurs camarades, les apprenants doivent maîtriser:
Ils éviteront absolument de livrer la réponse eux-mêmes et ils donneront à l'élève interrogé les éléments dont il a besoin pour résoudre lui-même le problème grammatical. Par la suite, pour que les élèves puissent se poser des questions précises, on introduit: comment écris-tu «...» ? et les lettres de l'alphabet français, de façon qu'ils puissent épeler quand quelqu'un le leur demande. . vocabulaire . paradigmes grammaticaux . dictée
Il faut que les autres élèves puissent dire:
Pour la correction de la dictée, ils doivent maîtriser:
Quand et comment intervenir ? Au début, l'aspect qui vous posera le plus de problème est de savoir quand vous devez intervenir. L'expérience montre qu'on a toujours tendance à intervenir trop tôt, que ce soit pour corriger une faute ou donner une réponse parce qu'on trouve qu'elle ne vient pas assez vite. I1 faudra donc veiller à ce que chacun ait le temps de réfléchir, à ce qu'aucun élève ne soit interrompu quand il parle et que chacun paisse prendre la parole s'il le désire. Ces aspects sont très importants! Ils constituent une condition indispensable au maintien de la motivation de tous. Bien sûr, le rythme d'acquisition des contenus ne doit pas en pâtir. C'est une question de doigté et de consensus avec les élèves. I1 y aura probablement un certain flottement au cours des premiers mois, mais peu à peu vous développerez une sensibilité qui vous permettra de saisir les attentes des apprenants et de de lever, lorsque c'est nécessaire, les flous et les incertitudes sans reprendre pour autant toute l'initiative en main. Il faut particulièrement veiller à ce que l'atmosphère nouvelle de liberté ne mène pas à une ambiance de travail relâchée. En effet, les nouvelles structures ont pour objet de dégager les apprenants de contraintes externes superflues pour leur permettre de consacrer toute leur attention à l'acquisition des contenus. Ils devront donc faire preuve d'une grande discipline personnelle. Je définirai le climat que j'essaie de créer en cours de la façon suivante: tout permettre lorsque les activités sont déployées en faveur de l'apprentissage, mais limiter au maximum les attitudes improductives.
Vers l'autonomie Dès les premières semaines, mais seulement lorsque la leçon s'y prête particulièrement bien, par exemple quand il s'agit d'éléments visualisables à l'aide de transparents, on peut commencer à habituer les élèves à présenter des petits textes. Afin de leur éviter des échecs et des déceptions, on prendra les élèves concernés à part et on exercera avec eux la prononciation des nouveaux mots. On leur montrera aussi comment utiliser les transparents et le rétroprojecteur, pour qu'ils soient familiarisés avec les instruments et puissent, lors de leur présentation, se concentrer sur le public. Mais au début ces présentations ne constitueront que des exceptions. Ce n'est qu'au bout de quelques mois que j'ai fait induire systématiquement tous les textes par les élèves, et ce n'est qu'au bout d'un an et demi que je leur ai fait également présenter la grammaire.
POUR EN SAVOIR PLUS: Cette lettre avait pour objet de familiariser le lecteur avec les techniques de base de ma méthode. La Lettre didactique II est consacrée à la présentation des textes et de la grammaire par les élèves. La Lettre didactique IV concerne les techniques que j'utilise pour faire des exposés de civilisation, pour traiter un poème, pour faire préparer et développer une discussion en classe et pour réaliser un voyage en France ou un échange scolaire. La Lettre didactique IV, que je n'ai pas encore fini de rédiger, concernera mon approche de la littérature et de la civilisation dans les classes terminales. Pour obtenir ces lettres, il suffit de m'écrire à l'adresse indiquée: Institut für Romanistik -Sommerresidenz - D - 8078 Eichstätt.
Université de Eichstätt, R.F.A.
EXPRESSIONS UTILES EN CLASSE
|